Case Study
L'idée
Pour mon Travail de Fin d’Année, je souhaitais me pencher sur une problématique sociale, et après avoir longtemps réfléchi à un thème qu’il m’intéresserait de développer, j’ai décidé de me diriger vers la situation des prisonniers et les stéréotypes liés à cette population.
Initialement, mon intérêt s’était tourné vers les prisonniers n’ayant plus de contact avec leur famille ou leurs amis et souffrant ainsi de solitude. Mon envie était de créer un moyen de communication permettant aux personnes incarcérées de correspondre avec des gens de l’extérieur qui souhaiteraient se lancer dans cette aventure. C’est une pratique assez courante aux États-Unis et dont on entend peu parler par ici.
Pour voir si ce projet pouvait possiblement voir le jour, j’ai commencé par faire de la veille et j’ai notamment découvert deux sites :
- Le Courrier De Bovet, un site français qui propose de remplir un dossier d’adhésion pour devenir un correspondant bénévole ;
- Prisoner Correspondence Project, un site canadien qui a pour but de faire correspondre les prisonniers canadiens et américains LGBTQ avec leur communauté de l’extérieur.
Deux sites proposant des projets intéressants, mais qui ne correspondaient pas réellement à ce que j’avais comme idée, c’était donc tout bénéfique pour moi.
Contacter les professionnels
Étant donné que le sujet que je souhaitais traiter n’était pas à prendre à la légère, j’avais besoin de connaître l’avis de professionnels du terrain.
J’ai donc contacté une quinzaine de personnes et d’associations et j’ai réussi à entrer en contact avec 4 d’entre elles, dont 3 ont été réellement bénéfiques :
- un travailleur social de l’ASBL Après, qui est un organisme d’insertion socioprofessionnelle travaillant avec un public (ex-)détenus bruxellois et qui est également un Service d’Aide aux Détenus au sein de la prison d’Ittre ;
- un travailleur social de la prison de Namur ;
- la directrice-adjointe des Maisons de Justice (MJ) de Mons et Tournai, ces dernières ayant pour rôle de contrôler les dispositifs des personnes sous libération conditionnelle, et de leur offrir un soutien par rapport à leurs objectifs de réinsertion socio-professionnelle.
Nos échanges se sont effectués via des entretiens téléphoniques, pendant lesquels je posais principalement 3 grandes questions :
J’ai ainsi pu récolter pas mal d’informations et de points de vue, tantôt divergents, tantôt similaires :
Travailleur social de l’ASBL Après
- beaucoup de prisonniers ne parlent pas bien français, sont analphabètes ;
- une fois sortis de prison, les ex-détenus qui n’ont pas de famille ou d’amis se retrouvent à la rue, et il y a des centres dont le rôle est de les accueillir ;
- une des raisons qui explique la récidive est l’isolement, le manque de lien (pas de famille, pas d’amis) et aussi le manque d’estime d’eux-mêmes et le fait de se sentir inutiles.
Travailleur de la prison de Namur
- les prisonniers peuvent communiquer sans restriction de temps (mais contre de l’argent) par téléphone (unités d’appel) et par courrier papier (timbres payants) ;
- le téléphone est le moyen le plus utilisé car beaucoup ne savent pas écrire, ou ont honte de faire des faute, et il permet d’avoir des réponses directement ;
- il n’y a pas de PC / d’Internet ;
- la communication par correspondance papier renforce souvent une communication téléphonique déjà existante ;
- les ex-détenus sont confrontés au sentiment d’être délaissés et dépassés car la transition entre la prison et la réalité du monde extérieur est trop forte ;
- il existe des gens qui viennent bénévolement en prison pour parler et écouter les détenus qui en ont besoin, après avoir reçu une candidature du prisonnier (ces personnes sont appelées « éditeurs bénévoles ») ;
- il existe des gens qui accompagnent bénévolement les ex-détenus à leur sortie (ces personnes sont appelées « visiteurs bénévoles ») ;
- le travail des éditeurs bénévoles n’est pas assez mis en avant, il en faudrait plus ; il faut renforcer cette offre de service pour les visiteurs bénévoles.
Directrice-adjointe des MJ
- il n’y a pas qu’un type de réponse à donner lorsque l’on cherche à savoir comment socialiser ; si les ex-détenus cherchent à se créer un réseau, il existe des associations pour les aider ;
- les ex-détenus ont un mandat contraignant qui fait qu’ils ne peuvent pas s’insérer socialement aussi bien que les personnes lambdas, et ils ont, en plus, des conditions imposées comme l’obligation de fournir un travail bénévole, de faire du sport, ou d’entrer dans une association, donc ils sont obligés de travailler et de faire des activités quand ils sont libérés à l’essai ;
- ce n’est pas simple pour eux de trouver un emploi ni du bénévolat, c’est encore plus difficile que pour les personnes lambdas ;
- il existe des centres qui accueillent des personnes libérées à l’essai et qui présentent des trouble psychiatriques (le Bobar à Tournai, la Charabiole à Namur), qui permettent de faire sortir ces personnes de l’isolement, mais à la connaissance de la dame, il n’existe pas d’équivalence pour les ex-détenus ne présentant pas de troubles psychiatriques, et il en faudrait ;
- pour elle, la récidive présente une cause multifactorielle, et est provoquée par une succession de choses : le passage dans le milieu carcéral est une usine à construire du crime, mettant les détenus en marge de la société ; il n’y a pas d’accompagnement psycho-socio-éducatif donc les gens en ressortent parfois plus socialisés de manière criminogène, surtout pour les gens qui n’avaient pas de ressources à la base ; c’est difficile pour tout le monde de trouver une place dans la société et c’est donc encore plus dur pour les ex-détenus ; beaucoup retournent vers un milieu criminogène et des mauvaises fréquentations...tout dépend de la trajectoire de chacun ;
- l’outil de communication que je veux créer serait, d'après elle, plus bénéfique lors de la sortie de prison et jouerait un rôle car il permettrait de retisser du lien social et de préserver la récidive ;
- ce serait, pour reprendre ses mots, un « outil hyper précieux » car il permettrait deux choses : de mobiliser les citoyens au point de vue de la réinsertion des ex-détenus dans la société et donc permettre aux citoyens d’y avoir une part active, et il permettrait également de désinstitutionnaliser les approches qui existent déjà car les structures qui existent sont professionnalisantes ;
- mon outil, d’après elle, offrirait une dimension restaurative car elle permet une approche bénévole ;
- pour elle, le détenu serait « reconnaissant » car les gens bénévoles créeraient quelque chose pour lui en leur offrant leur aide et leur écoute ;
- elle ne pense pas qu’il faudrait un cadre autour de cette offre bénévole, car les ex-détenus sont déjà encadrés par les Maisons de Justice et, de plus, s’ils sont sortis de prison, c’est que l’on a estimé qu’ils étaient capables de se réintégrer ;
- elle a insisté sur le fait que c’était important que ce soit une offre bénévole ;
- cela permettrait de créer un réseau, un tissu afin d’apporter un soutien aux ex-détenus (comme aller faire les courses avec eux, par exemple) ;
- pour elle, il ne devrait pas y avoir de restriction pour les bénévoles, à part le fait d’être majeur, car c’est un outil qui devrait rester le plus ouvert possible ;
- ce serait bien, selon elle, de combiner une application avec un site web, car en sortant de prison, dans la société actuelle, ils ont rapidement un téléphone avec Internet, et ils utilisent les kiosques informatiques en attendant ;
- ce serait un outil que je pourrais aussi déposer dans les Maisons de Justice, chez les aides aux justiciables, pour qu’ils puissent faire le relai.
De toutes ces réponses, j’ai ressorti deux points essentiels :
- il serait difficile de mettre en place un moyen de communication écrit entre les prisonniers et les gens de l’extérieur car la plupart des personnes incarcérées ne parlent pas bien voire pas du tout français, et ne savent pas bien ou pas du tout l’écrire / le lire ;
- il y a plutôt une demande qui se situe au niveau de la réinsertion des ex-prisonniers, et les services qui existent à ce jour pour aider les ex-détenus sont uniquement institutionnalisés, ne proposant donc pas un lien d’égal à égal entre bénévole et ex-détenu.
Le pivot
C’est à ce moment-là, et surtout grâce à la discussion que j’ai eue avec la directrice-adjointe des maisons de justice, que je me suis rendu compte que je devais peut-être légèrement changer de cible, en restant dans le thème de la communication, mais en choisissant de construire un projet pour les ex-détenus et non pas pour les prisonniers.
Avant de prendre une décision finale sur ce qu’allait être mon projet, je voulais me documenter sur la réinsertion post-pénitentiaire des ex-détenus ainsi que les conséquences de l’incarcération, afin de mieux comprendre et adapter ce que je pourrais proposer. J’ai donc gardé en mémoire ces quelques notions :
- la Ligue des droits de l’homme observe que la prison est un facteur supplémentaire de désocialisation et qu’elle aggrave la marginalisation des détenus, puisque les relations sociales (familiales ou autres) sont difficilement maintenues. La prison elle-même peut également être un facteur de récidive étant donné que le détenu perd son emploi et est dans l’incapacité de pouvoir payer son loyer, perdant ainsi son logement ;
- les prisonniers ne reçoivent que peu de formations et d’activités ludiques pendant leur incarcération, donnant une impression d’exclusion et aggravant ainsi leur réinsertion sociale par la suite ;
- les personnes placées sous main de justice ont besoin d’une reconstruction sociale car, souvent isolées, elles sont confrontées à des difficultés de la vie courante, comme faire un CV.
Mon projet était alors trouvé : je souhaitais aider à la réinsertion sociale des ex-détenus en créant un moyen de les mettre en relation avec des citoyens bénévoles prêts à offrir leurs services.
En voulant mettre en place ce projet, j’avais un double objectif :
- apporter de l’aide aux ex-détenus afin qu’ils puissent bénéficier d’une meilleure réinsertion sociale ;
- permettre aux citoyens d’avoir une part active dans cette réinsertion.
Le contenu de mon app
Sur-veiller
Afin de ne pas partir de rien, j’ai observé le site Ring Twice, un site fonctionnant selon le même schéma que ce que je souhaitais proposer, c’est-à-dire un échange de services entre deux parties. Un site qui fonctionne bien, et dont il était bénéfique que je m’inspire.
Je suis donc partie sur ce même fonctionnement de catégories, un choix qui me semblait judicieux pour amener de la simplicité de mon application, point très important car
- les potentiels bénévoles sont de tout âge et ne sont donc pas forcément à l’aise avec la technologie ;
- la majorité des ex-détenus n’est pas à l’aise avec l’écriture, il faut donc que leur parcours sur l’application se fasse le plus facilement possible.
Les catégories
J’ai alors fait des recherches et pris en compte mes notes prises lors des entretiens afin d’établir mes catégories :
À la recherche des statistiques
Une fois mon thème choisi, j’avais besoin de savoir s’il y allait avoir de potentiels bénévoles intéressés par ce projet. J’ai donc décidé de lancer un questionnaire via Google Form, qui a été complété par 55 personnes et qui m’a permis de me rendre compte que :
- 9 d’entre elles ne seraient pas intéressées par ce projet ;
- presque 60% ont déjà effectué du bénévolat, les secteurs ressortissant le plus étant ceux du secteur éducatif et des festivals ;
- environ 75% sont plus ou moins à l’aise de rencontrer de nouvelles personnes ;
- 13% estiment que les ex-détenus n’ont pas droit à une seconde chance, mais ces personnes-là sont des personnes pas ou peu intéressées par mon projet ;
- à plus de la moitié des votes, la catégorie d’aide qui intéresse le plus les potentiels bénévoles est celle des relations sociales, et viennent ensuite l’administratif (à 47%), les cours (à 45,5%), le logement (29%) et l’informatique (27%) ;
- 20% des gens seraient prêts à consacrer plusieurs heures par semaine (week-end inclus) pour la réinsertion des ex-détenus, 18% pourraient donner 1h de leur temps par semaine sans compter le week-end et 16,5% pourraient donner 1h de leur temps par semaine week-end inclus ;
- sur le total des personnes intéressées par mon projet, la moyenne d'âge est de 27 ans.
L’analyse de ces données m’a confortée dans mon choix de projet et m’a permis de mieux imaginer les fonctionnalités qu’il serait utile de développer dans mon application.
Le MVP
Une fois les fonctionnalités imaginées, il est temps de tester la viabilité de mon projet via un MVP (Minimum Viable Product), un produit minimum viable, c’est-à-dire à l’aide d’une ébauche simple et rapide de mon application, qui ne contient encore aucun design.
Mon MVP, qui est un prototype en nuances de gris, ressemble alors à cela :
Il me permet de concevoir les fonctionnalités et les liens entre les pages de mon application et de le faire tester à des futurs bénévoles potentiels. Je le fais alors tester à plusieurs personnes, et note les améliorations dont je devrai tenir compte pour la suite.
L'identité graphique de mon app
Une fois les soucis de MVP notés, je peux passer au design.
Objectifs
Au moment d’imaginer l’identité visuelle de mon application, je me fixe trois objectifs :
- simplicité ;
- intuitivité ;
- rapidité.
Le nom
Concernant le nom, nous avons fonctionné par discussions et par votes, en classe, pour trouver le nom du projet de chacun. J’ai commencé par écrire les valeurs et les ambitions de mon projet afin de me guider dans mes recherches.
Beaucoup d’idées ont été énoncées, et après réflexion, j’ai conclu qu’il fallait que le nom de mon application soit en français et ne tienne qu’en un seul mot, toujours pour cette raison de simplicité et de compréhension de la langue.
Après une seconde discussion, cette fois avec ma famille, pour avoir un œil différent de celui des étudiants de ma classe, nous avons établi une liste et voté à l’unanimité pour : Tremplin.
Tremplin, qui représente le pas franchi entre le passé de la vie en prison et le présent dans le chemin de la réinsertion. Tremplin qui représente également le soutien offert par les bénévoles qui aident les ex-détenus à franchir ce pas.
Les couleurs
Pour ce qui est des couleurs, j’ai fait mes recherches en fonction de leur signification et des émotions que chacune transmet. Et j’en suis arrivée à choisir du orange pour le côté amical, chaleureux et énergétique, et du rose pour l’aspect sincérité.
Le logo
Il fallait que je trouve un moyen de donner une identité à mon logo, tout en restant dans la simplicité (on commence à connaître la chanson). Après être passée par quelques ébauches qui ne me plaisaient pas, j’ai finalement décidé d’écrire Tremplin avec la fonte choisie et de rallonger la barre du T pour faire penser à la forme d’un tremplin.
Le prototype final
Une fois l’identité visuelle complète, j’ai pu m’attaquer au prototype de mon application. Pour celui-ci, je suis également passée par plusieurs versions car je le faisais tester à des utilisateurs potentiels afin de l’améliorer du mieux possible.
Vidéo
Pour notre TFA, il nous a également été demandé d'en faire une présentation vidéo, dont le contenu était libre. Voici comment j'ai décidé de le représenter :
Ce que je pourrai améliorer à l'avenir
Étant donné que mon projet ne tient que sur un prototype, je n’ai pu proposer qu’une partie de ce à quoi l’application pourrait ressembler. Déjà, je n’ai développé que la partie consacrée aux bénévoles, mais si je devais faire grandir ce projet, je développerais également toute la partie dédiée au parcours utilisateur des ex-détenus.
Pour ce qui est déjà établi sur mon prototype, il est sûr qu’il y a des améliorations à faire, et j’en ai déjà quelques unes en tête :
- l’inquiétude qu’un bénévole pourrait avoir à rencontrer un ex-détenu seul : proposer une option de rencontre de deux bénévoles pour un ex-détenu ;
- la possibilité que les ex-détenus s'aident entre eux ;
- proposer une page supplémentaire sur l’application qui regroupe une liste de contacts de centres ou d’associations qui pourraient éventuellement aider ou répondre aux questions des ex-détenus ou des bénévoles.
Ce que je retiens de cette expérience
Ce projet de TFA m’a vraiment permis de me rendre compte que le côté relationnel était vraiment ce que je préférais dans l’élaboration d’un projet : aller questionner les potentiels utilisateurs pour comprendre leurs besoins et pouvoir adapter et améliorer ce que je propose. Mon projet m’a permis de me remettre constamment en question, d’autant plus que le sujet que j’ai choisi de traiter n’est pas simple et ne fait pas l’unanimité sur l’avis de la société à propos des prisonniers / ex-détenus.
Ce qui m’a le plus motivée, c’était de voir l’encouragement des professionnels, car en connaissant la réalité du terrain, ils croyaient en mon projet. Et j’ai également été encouragée par les potentiels bénévoles qui étaient intéressés de voir sortir l’application Tremplin.
J’avais également la satisfaction de voir mon projet évoluer et grandir au fur et à mesure que je faisais des recherches et améliorations.
Cette expérience de Travail de Fin d’Année a été très enrichissante et m’a permis de mieux découvrir ce que j’appréciais dans le secteur du web.
Je remercie mes proches ainsi que les travailleurs sociaux des centres et associations qui ont pris le temps de m’aider et de m’accompagner dans cette aventure.